ET SI ON PARLAIT ÉTHIQUE : un interview de Mireille Kerlan

Mireille Kerlan est orthophoniste, installée à Vesoul. Elle est chargée de mission éthique à la FNO. Longtemps enseignante en orthophonie à l’université de Besançon, elle est maintenant formatrice en formation continue. Elle vient d’écrire un livre « Ethique en orthophonie » aux éditions de BOECK.

 Propos recueillis par Jérôme Combes

 – Bonjour, pour commencer pouvez-vous me dire ce qu’est le métier d’orthophoniste ?

C’est un métier très vaste et complexe car on s’occupe de soigner des personnes, de la naissance jusqu’à la fin de vie, pour tous les problèmes de langage, communication, cognition mathématique, fonctions oro-myo-faciales. Cela est en lien avec la linguistique, la neurologie, l’ORL, les sciences cognitives… Soigner nécessite une compréhension globale des patients dans leur contexte familial et social et ne peut se limiter au symptôme. Un orthophoniste doit répondre à des demandes très différentes ce qui nécessite des compétences diverses, ce d’autant plus en milieu rural.

– Dans ce métier très vaste quels sont vos pôles d’intérêts ?

Tout en étant très généraliste par goût et par nécessité, je me suis à un moment beaucoup occupé des problèmes de voix et aussi à tout ce qui touche à la neurologie et à la communication. Depuis un certain temps, je m’intéresse aux problèmes de dysphagie, notamment chez les personnes âgées en faisant le lien avec la nutrition et le plaisir alimentaire. Pour les orthophonistes, il y a un lien étroit entre l’oralité verbale et l’oralité alimentaire…

Et puis, bien sûr, l’éthique….

– Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à l’éthique ?

J’ai enseigné pendant plus de 10 ans à Besançon, j’étais aussi responsable de la formation pratique des étudiants pendant quelques années. J’avais alors des interrogations : comment transmet-on un savoir clinique ? comment fait-on le lien entre la théorie et la clinique ? Ce qui m’a amené à une première grande réflexion éthique « qu’est-ce que soigner et qu’est-ce que la relation thérapeutique en orthophonie ? » Nous avons beaucoup de savoirs scientifiques et il y a de multiples progrès, notamment grâce aux neurosciences, qui permettent de mieux comprendre les dysfonctionnements. Pour autant, cela ne suffit pas pour soigner un patient. Il faut aussi une bonne relation de soin, ce qui est complexe puisque nous avons à aider des personnes qui ont des problèmes de langage et de communication.

– Et pourquoi écrire un livre ?

Les formations que je donne m’ont conduit dans ma réflexion et à un moment j’ai eu envie d’écrire tout cela pour montrer, notamment, comment de tout temps cette question du soin interroge et doit interroger le soignant. Les connaissances évoluent et les patients aussi. Ils ont plus d’accès au savoir, des attentes différentes, une relation différente avec les soignants. La société change, l’offre de soin aussi. Il y a des nouveaux modes de communication, le numérique… comment intégrer tout cela dans nos pratiques ? L’éthique permet de guider le praticien face au questionnement engendré par toutes ces problématiques dans le soin.

En particulier il y a des questions comme celle de l’autonomie, de la normalité que je souhaitais approfondir.

– Quel lien faites-vous avec l’éducation thérapeutique du patient (ETP) ?

L’éducation thérapeutique amène justement à la réflexion de la place du patient. Cette position très verticale du soignant qui sait tout et du patient qui doit se soumettre aux décisions du soignant n’est plus possible. J’ai fait une formation à Vesoul organisée par la CoMET pour les libéraux. J’ai adoré cette formation et je m’y suis complètement retrouvée. Finalement une ETP centrée sur la personne amène à la réflexion éthique sur la relation de soin et bien sûr à d’autres questions éthiques…

Par exemple la notion d’autonomie qui n’est pas que l’autonomie physique mais aussi celle de permettre aux patients de participer à leurs soins et de faire des choix et le changement de posture que cela implique chez le soignant est fondamental. Cela est d’autant plus important qu’en orthophonie nous avons beaucoup de patients chroniques et que nous faisons de l’ETP au quotidien. Cela peut nous conduire à penser la prise en charge de façon différente en particulier dans le rythme des séances, si nous donnons les moyens au patient de se prendre en charge tout en l’accompagnant.

Il y a aussi la question de l’intégration de l’entourage et des aidants dans certaines situations comme chez l’enfant, la personne handicapée ou la personne âgée.

– Dans votre pratique quotidienne qu’est-ce que cela a changé ?

Les patients qui viennent nous voir ont une souffrance et une demande. C’est de notre devoir de les écouter sans jugement, puis d’y répondre en mettant nos savoirs et notre expérience à leur disposition. Cela me donne plus de moyens pour une relation plus bienveillante, avec plus de respect, moins de jugement.

Je suis aussi plus attentive à intégrer la famille, l’entourage dans la prise en soin. Je m’aperçois que finalement l’éthique et l’ETP amène aux même conceptions et aux même changements. Cela ne donne pas de réponse mais amène les soignants à s’interroger, à prendre du recul sur leurs pratiques. Avec une finalité : permettre à la personne malade de continuer son chemin de vie malgré sa maladie ou son handicap.

– Quels sont vos projets, vos pistes de travail à venir ?

Je vais certainement arrêter mon activité libérale dans quelques mois… Mais je souhaite continuer à m’investir dans les différentes instances où je travaille pour amener la communauté des orthophonistes à réfléchir aux différentes questions éthiques évoquées dans mon livre et faire le lien avec leurs pratiques…comme la relation de soin…cela nous ramène à l’éducation thérapeutique.

J’ai le souhait, au travers des formations éthiques que je donne, des écrits en projet, de proposer une réflexion critique sur les modèles basés sur les données statistiques scientifiques qui seules ne peuvent répondre à la demande de soin des patients. Il ne faut jamais oublier que nous sommes toujours face à une personne et non seulement face à une pathologie.

Propos recueillis par Jérôme Combes et publiés dans la revue « des Fleurs de sel », contactez : Amandine Pommier Canovas (CoMET) : jura@cometfc.fr ou Laure Jeannin (UTEP CHU Besançon) utep.secretariat@chubesancon.fr

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